La violence sexuelle est un sujet complexe, sensible et délicat mais aussi réel et quotidien. L’évoquer est audacieux car c’est ouvrir la boîte de Pandore au risque de choquer. Mais il est crucial de le faire pour démystifier l’ampleur des dégâts, dénoncer l’inacceptable et tenter de comprendre.
Selon Wikipédia, « la violence sexuelle conjugale est la violence exercée par un des conjoints sur l’autre, au sein d’un couple. Elle s’exprime par des agressions verbales, psychologiques, physiques, sexuelles, des menaces ou des contraintes, qui peuvent aller jusqu’à la mort ».
La violence sexuelle en France : des statistiques affligeantes.
Selon une enquête de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) en 2018, entre 2011 et 2018 près de 0,9 % des femmes ont subit des violences physiques ou sexuelles de la part de leur conjoint ou ex-conjoint soit 405 000 victimes en moyenne chaque année. Parmi elles, 92 % vivent encore avec l’auteur des violences au moment de l’enquête. Et seules 11 % déposent plainte. En France, 16 % des femmes déclarent avoir subi des viols ou des tentatives de viol, dont 59 % avant l’âge de 18 ans et moins de 8 % font l’objet de plainte. Quid de celles qui ne le déclarent pas par honte, peur des représailles, de l’éclatement de la famille… Selon le rapport de l’ONDRP, en 2012, plus de 170 personnes sont décédées de violence conjugale (dont environ 18 % sont des hommes). Selon L’EXPRESS, en 2016, 123 femmes (et 34 hommes) ont été tuées par leur compagnon ou leur ex. avec une hausse de 9% par rapport à 2015. Et sur 28 femmes auteures d’homicides au sein de couples « officiels », 17 d’entre elles étaient victimes de violences de la part de leur partenaire, souligne l’étude. En France, pour l’année 2017, les violences conjugales se chiffrent à 112 000, faits constatés par les services de police et de gendarmerie. La violence sexuelle fait partie des violences conjugales, même si elle est plus discrètement citée. Le harcèlement sexuel (injures, menaces, attouchements) au travail et dans la rue est une réalité qui prend de l’ampleur chaque année.
L’asservissement de la femme par l’homme
La violence faite aux femmes signe à la fois l’asservissement encore prégnant de la femme par l’homme. Mais aussi la profondeur des blessures encore fermement ancrées dans nombre d’hommes qui en sont les auteurs. Elle démarre déjà par des termes machistes tels que « chaudasse », « salope », « pute », «allumeuse», jeté par celui qui soit a refoulé le féminin. Celui-ci rejette cette part féminine en lui qu’il considère ou juge, comme faible et inférieure. Il se peut aussi qu’il ait été blessé, écœuré, dégoûté par certaines femmes, ou encore qu’il ait été témoin de l’attitude d’un père dénigrant du féminin. Si nous avons vu comment le patriarcat a cultivé et perpétué la violence faite aux femmes pendant des centaines d’années, les résidus intra-psychiques de la relation aux parents (Lire Sexualité masculine Puissance et vulnérabilité de Carlotta Munier ) restent des moteurs inconscients et redoutables à l’origine de cette violence. Qui a été violenté pourra devenir violent. À cela, nous pouvons proposer d’autres hypothèses.
Victime et bourreau : un corps à corps toxique
Reste à ajouter que la violence sexuelle et conjugale ne résulte pas du seul fait de l’homme. En effet, dans toute interaction il y a au moins deux protagonistes et certaines femmes portent une part de responsabilité dans ce qui leur arrive. L’état constant de victime endossé par certaines d’entre elles, résultant de leur propre histoire, est un moteur agissant par projection et identification sur l’autre. La victime a intériorisé toutes les situations de maltraitance et de violence qu’elle a vécues et les porte à son insu en en ayant incorporé toutes les polarités : abuseur et abusée (phénomène de clivage en psychopathologie). Ces imagos internes agissent à son insu lorsqu’elle projette la part de l’abuseur internalisée qui réside en elle sur l’autre. L’autre est ainsi activé sans s’en rendre compte et endosse un rôle qui n’est pas le sien, mais qui vient se conjuguer et s’additionner à sa propre part de violence. Par surcroît, la victime adoptera un comportement soumis ou rebelle qui ne fera qu’attiser la haine ou la détresse de l’homme. La boucle est bouclée. Victime et bourreau dansent dans un corps-à-corps toxique qui les enchaîne et les projette dans une escalade de violence qui atteint son paroxysme et son issue dans les coups. Si l’homme, horrifié de ses actes, tente de faire amende honorable pour être pardonné et jure qu’il ne recommencera pas, la spirale infernale reprendra au moindre grain de sable. Chacun prisonnier de son scénario ne fera que jouer la même partition. La seule alternative pour quitter la scène est d’entreprendre un accompagnement thérapeutique pluridisciplinaire (notamment lorsque l’alcool ou la drogue s’en mêlent) parfois associé à l’intervention de la Loi.
La force physique de l’homme renforce sa violence
L’homme a une force physique supérieure à celle de la femme (encore que la femme puisse déployer une énorme puissance si sa vie ou celle de ses enfants sont en danger). Il lui est plus facile de contraindre ou forcer la femme. Niant ou rejetant sa propre part de féminité car vécue comme de la faiblesse, il pourra tenter de la détruire chez celle qui, de par sa propre nature, le lui rappelle chaque jour. Certains hommes ne supportent pas que soient remises en question leur autorité et leur suprématie sur le couple ou sur la famille. Ils tenteront de renforcer leur pouvoir sur l’autre en le forçant à lui obéir, quitte à passer par la violence verbale, psychologique, physique ou sexuelle. C’est le malheureux résultat de certains modèles éducationnels ou parentaux reçus par l’homme dès son plus jeune âge. Notamment lorsque l’un des parents a été violent contre l’autre et/ou les enfants. D’autres encore, aux prises avec leurs propres angoisses identitaires ou conjoncturelles (pouvant être réveillées à la suite d’événements difficiles ou ingérables), vont tenter de trouver un exutoire à leur trop-plein de tension. La femme peut être alors au mauvais endroit, au mauvais moment et faire les frais de cette tentative d’échappatoire par décharge.
Le jeu des relations perverses
Enfin, ne nions pas les relations perverses qui existent dans chaque couple. Ces formes se réveillent car nous jouons sans cesse, dans le couple, ce que nous avons vécu depuis l’aube de nos relations et ce dont nous avons été témoin pendant notre enfance. Nous avons tous, en chacun de nous, une partie qui cherche à prendre le pouvoir sur l’autre ou sur la situation en vue de la satisfaction d’un besoin. Nous sommes tous des manipulateurs. Ces manipulations deviennent dangereuses lorsqu’elles sont mises au service de soi-même et aux dépens de l’autre. Ces manœuvres ne sont pas l’apanage de l’homme, la femme pouvant passer maîtresse dans l’art de proférer son venin ou d’enfermer dans des injonctions paradoxales.
La personnalité narcissique
En poussant le curseur un peu plus loin, nous pouvons trouver des personnalités narcissiques. Elles ne peuvent discerner leur moi idéal de l’autre (qui n’existe pas dans son altérité, mais uniquement comme projection de lui-même). Ces personnalités n’ont pas besoin de l’autre dans la relation, mais uniquement comme faire-valoir, comme prolongement d’elles-mêmes tant qu’il leur confère et confirme leur grandeur. Incapables de concevoir leur part d’ombre, leur propre imperfection, elles la projettent sur les autres qui deviennent alors mauvais, méprisables et par ce fait, attaquables. Elles peuvent alors devenir violents, mais contrairement au pervers narcissique, n’en retireront aucun plaisir, aucune gloire. À l’extrême de l’échelle de la manipulation et de la pathologie, nous trouvons les pervers narcissiques qui, non contents de soumettre l’autre, de le maltraiter, de jouir de sa souffrance, de son désarroi et de sa confusion, iront jusqu’à le détruire sans culpabilité aucune.
La sexualité précoce peut être une cause de violence sexuelle ultérieure
Dans un autre ordre d’idées, une sexualisation précoce (inceste, pornographie, naturisme forcé, intrusion dans l’intimité, absence de limites, exhibition sexuelle parentale ou adulte…) pourra cristalliser le développement affectif et psychosexuel de l’être à un stade où il ne peut entrevoir les relations que sous ce biais, c’est-à-dire érotisé. Il y a confusion entre sexualité et sentiments. Le prisme de compréhension étant déformé, les transactions relationnelles perçues et vécues ne pourront être interprétées que de manière sexualisée. Toute tension, conflit, comme toute demande d’affection, sera prétexte à l’acte sexuel, bien souvent forcé ou extorqué. Dans ces situations, c’est souvent l’autre, la femme, qui vient se plaindre de la sexualisation de tous les espaces et interactions et de la contrainte subie. Cela pourra conduire à une séparation. Mais dans ce cas de figure, s’il veut changer sa façon d’être au monde, l’homme ne pourra faire l’économie d’une psychothérapie.
Le viol : une forme de violence particulière
Le viol, comme forme extrême de violence, est plus complexe à appréhender. L’on pourrait distinguer différents types de violeurs. Il ne s’agit en aucun cas d’accepter ou de valider ces crimes (car le viol est un crime) ni de dédouaner les criminels de la responsabilité de leurs actes, mais de tenter de comprendre ce qui se passe. Il y a celui qui est dépassé par ses pulsions, incapable de gérer sa frustration ni de prendre du recul par rapport à la situation, il se laissera déborder par la pression interne qu’il subit le poussant à passer à l’acte. Une frustration de trop, un sentiment d’impuissance de trop, une résistance ou un refus de trop, et il peut forcer un rapport. Celui qui dérape est un être qui souffre ou qui a souffert. Il peut concevoir du remords, de la culpabilité par rapport à ses actes et peut être traité en thérapie, s’il le souhaite vraiment. Un autre sera celui qui ne peut absolument pas contenir ses pulsions et la violence issues de sa propre histoire. Il n’a pas la capacité psychique pour élaborer son fantasme. Totalement soumis à son scénario, il passera à l’acte sans conscience. La littérature policière regorge de ce genre de personnage… Psychopathe, il n’a aucun espoir de thérapie, n’ayant aucun sentiment de culpabilité à l’égard de ses actes ou de ses victimes.
La violence sexuelle peut être une arme
Un autre encore est celui qui utilise son sexe comme arme, et donc le viol, pour posséder, dominer l’autre, le détruire (viol conjugal, viols en réunion, viols en temps de guerre). Celui-là n’en conçoit aucune culpabilité, sauf parfois lorsqu’il s’est laissé porter par le mouvement du groupe (guerre, viols en réunion). Il appartient à la catégorie des sociopathes ou des psychopathes. Aucun traitement psychothérapeutique ne fonctionne (la thérapie ne peut agir que lorsqu’il y a un réel désir de changer). Pas de culpabilité, pas de levier ni de possibilité de changement. Seuls la castration chimique et l’enfermement permettent d’isoler cet être du reste de la société. En revanche, celui qui s’est laissé entraîner par le groupe, choqué tant par ses actes que par l’impossibilité dans laquelle il s’est trouvé de s’opposer au mouvement, et dans un profond dégoût de lui-même, pourra se laisser entraîner vers la dépression, voire le suicide. Celui-ci peut être « sauvé » par un travail thérapeutique.
À propos des guerres et des conquêtes, n’oublions pas que le viol reste une manière de prendre un pays, une région. L’homme tue son ennemi, féconde ses femmes (par la force). Ainsi, il assure, via la progéniture qui en sera issue, le contrôle des populations, du territoire. Si le processus qui conduit au viol est différent pour chaque violeur, le résultat est le même. La femme violée (parfois l’homme) est profondément détruite de l’intérieur. D’autant plus, si l’auteur est un proche.
L’éducation au service du changement
La société, choquée de ces comportements (sans toutefois en reconnaître sa part de responsabilité, la reportant sur l’individu), met en place de plus en plus de lois et de condamnation, notamment pour les victimes mineures. L’arsenal juridique s’est maintenant élargi, des crimes et délits qui ne l’étaient pas encore il y a peu sont maintenant inscrits au Code pénal. Tel le viol entre époux qui a été reconnu en 1990. Le viol est un crime passible de la Cour d’assise et d’emprisonnement (article 222-22 à 24 entre autres du Code pénal). Il reste encore à éduquer ceux qui reçoivent les plaintes : les policiers et les gendarmes. Sans généraliser, il en existe encore trop qui tentent de minimiser ou de discréditer la femme qui vient déposer une plainte, comme si «elle l’avait cherché avec sa minijupe» ! Si l’administration reconnaît maintenant ces attitudes machistes, elles restent encore trop fréquentes et trop peu sanctionnées. Ce qui me rassure, si je peux dire, c’est que de plus en plus d’hommes se font les porte-parole, notamment via les réseaux sociaux, de la défense de la dignité des femmes et condamnent les incivilités (notamment de rue), les violences verbales, psychologiques ou physiques. La conscience trace son chemin.
Extrait de Sexualité masculine : puissance et vulnérabilité de Carlotta Munier aux éditions du Souffle d’Or.
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