L’enfant arrivant dans un couple va causer un séisme qui va ébranler l’édifice jusque dans ses moindres fondations. Si ces dernières ne sont pas solides, le couple risque de se trouver en réelle difficulté.
Lorsqu’on devient parent, on devient père et mère, papa et maman. Le statut change, les rôles également. De profondes mutations s’opèrent sur plusieurs plans, plusieurs dimensions simultanément et nombre de couples n’en ont absolument pas conscience a priori. Indépendamment du soin porté à l’enfant et à l’effet que ce maternage génère entre cette femme (dans la majorité des cas) tournée quasi exclusivement vers son petit et cet homme qui ne sait pas comment trouver sa place dans cette dyade, ce sont de profonds repères qui sont chamboulés pour les deux.
La grossesse et le couple
Avant même l’arrivée du fruit de l’union de ces êtres, la grossesse est déjà une étape de bouleversement. Ce couple va se projeter dans ce nouvel être à venir et déjà fantasmes et névroses sont activés. La femme étant plus impactée dans son corps et dans ses humeurs du fait des variations hormonales et des sensations qu’elle perçoit au tréfonds d’elle- même, le futur père ne sait pas toujours comment trouver sa place auprès d’elle. Tantôt totalement étranger, tantôt très proche, c’est une danse inconnue que ce couple va apprendre au gré des mois et de l’évolution de la grossesse. L’homme est souvent démuni dans cette période car il ne sent pas ce qui se passe et doit se caler au rythme de sa compagne. Il peut se sentir seul et dépourvu. Il peut se replier ou entrer dans une intense préparation à l’arrivée du bébé.
Quant à la sexualité, elle pourra soit être reléguée aux oubliettes pendant un temps indéfini, soit être très investie, avec toutes les fluctuations et oscillations possibles instant après instant. Aucune règle, aucune loi. La femme est invitée à être pleinement à l’écoute d’elle-même et à ce qui se passe dans son corps pour sentir la couleur et la forme de son désir et l’exprimer. Quoi qu’il se passe, la communication est alors essentielle. L’intimité qu’aura pu construire le couple sera un socle soutenant (ou pas) pendant cette étape essentielle.
Une nouvelle responsabilité
Cet être qui arrive vient secouer ses parents dans la pression existentielle de la responsabilité. «J’ai permis à cet enfant d’arriver, j’en suis responsable. Et ce, pendant un certain nombre d’années.». Le couple qui devient couple parental n’a pas une image juste de ce que représente cette responsabilité que d’accompagner un enfant dans son éveil, sa croissance, son éducation, son étayage. Il n’a aucune idée du temps qu’il va devoir y consacrer et comment ces heures vont prendre sur des plages horaires dont il disposait pour lui ou pour les individus qui le constituent. Chacun va être confronté à ce que ses modèles parentaux lui ont inculqué. Ce sera l’objet de discussions, de conflits, de heurts, ou non, mais les échanges seront nécessaires. Cette responsabilité nouvelle qui advient va interroger chacun sur la liberté qu’il s’accordait avant cela. Un enfant demande amour, contact, attention, soin, jeu. Cela prend du temps et les parents n’ont plus la possibilité ni la capacité de faire comme avant. Du moins ceux qui ont pris la responsabilité de sa venue ou de l’accueillir lorsqu’il n’a pas été pleinement désiré.
Un enfant qui arrive dans un couple va stimuler et confronter les imaginaires et les idéaux de famille de chacun. Idéaux bien souvent faisant fonction de réparation des histoires personnelles. Ces parents sauront-ils mettre leurs visions et illusions à l’épreuve de la réalité? Et pourront-ils prendre la responsabilité d’accompagner cet être pour qui il est et non pour ce qu’il représente? Un défi, une gageure? Pour le moins une énorme remise en question.
Un nouveau statut
L’enfant qui arrive nous confère cette parentalité et nous offre une nouvelle place dans la lignée, celle de nos propres parents qui, eux, prennent une autre place, celle de grands-parents. Le regard que portent l’environnement et la société sur ce couple évolue. Avec des bénéfices et des inconvénients différents selon que l’on est homme ou femme, selon nos métiers, notre milieu social, notre culture, notre religion. A contrario, quel regard porte la société sur ce couple qui n’a pas d’enfant? Lorsque c’est son choix? Et lorsque cela ne l’est pas? Ce statut sera vécu à travers le filtre de sa cartographie intérieure issue de sa propre enfance et de l’observance et de l’expérience de son propre couple parental.
Le regard sur l’autre et le regard de l’autre
Le regard que nous portons sur l’autre qui devient parent se modifie. Ce n’est plus seulement notre compagnon/ compagne, notre partenaire. Il ou elle change de statut à nos yeux, réellement et psychiquement. Voir sa compagne devenir mère peut impacter un homme jusque dans sa libido. Surtout s’il a assisté à la mise au monde (et de quel côté du lit). Qu’en sera-t-il de son désir pour cette femme? Va-t-il projeter sa propre mère dessus (c’est malheureusement fort fréquent)? Va-t-il l’idéaliser? Va-t-il être en mesure de patienter quelques mois pour retrouver une vie sexuelle? Arrivera-t-il à pénétrer et honorer le sexe par lequel son enfant est arrivé au monde?
Cette femme devenue mère, comment va-t-elle appréhender son compagnon devenu père? Va-t-elle projeter son propre père? Va-t-elle le charger d’une mission d’être un bon père ? Mission inatteignable tant elle est idéaliste et irréaliste? Certainement. D’ailleurs, elle-même, comment va-t-elle dealer avec son propre impératif de devoir être une bonne mère? Quel regard incisif et sans pitié risque-t-elle de porter sur chacune de ses pensées, chacun de ses actes? Oubliant par là même d’être juste une femme et un être humain qui apprend dans une situation nouvelle et inédite. Comment va-t-elle pouvoir redevenir femme et accueillir le sexe de son homme dans celui par lequel est passé le fruit de leur union ?
Quel regard portera l’environnement proche (grands- parents) qui teintera celui que l’on porte sur l’autre? Ce couple aura beaucoup à faire pour trier les fils et défaire les nœuds des projections et identifications. Et pris par la réalité d’un bébé qui pleure et ne fait pas ses nuits ou, pire, qui a des problèmes de santé, il n’en aura probablement ni l’occasion, ni le temps. Mais les impacts des attitudes et comportements de l’un, de l’autre lors de cette période seront réels et pourront imprimer durablement des blessures au couple.
Le réveil de notre propre enfance
J’ai longuement évoqué dans les précédents ouvrages le rapport de l’homme, de la femme avec ses propres parents comme chantier indispensable à mener pour vivre des relations plus libres et plus épanouies en se libérant du carcan «fils de», «fille de», de toutes les obligations et de tous les devoirs affiliés, pour devenir vraiment homme et femme individué(e). Or, ce qui est méconnu comme effet, c’est que la parentalité vient réveiller l’enfant que l’on a été avec son cortège de blessures, de manques, de carences, de besoins non satisfaits, de chagrins non consolés, de bobos non (ou mal) soignés, de larmes non séchées, de câlins non (ou trop) vécus, de regards non partagés, d’encouragement non prodigué, d’amour non reçu… Et l’on risque de projeter notre propre enfant intérieur souffrant dans ce petit être, pour venir réclamer notre «dû» à cet autre, devenu parent. C’est ainsi que l’on entend parfois des femmes dire qu’elles ont non pas N, mais N + 1 enfants à la maison, le conjoint se comportant comme tel – sachant que l’attitude maternante de la femme exacerbée par sa maternité peut s’étendre au conjoint. Dans le même ordre d’idées, l’on voudra que notre enfant ne souffre pas comme on a eu mal et l’on transférera notre propre mal-être sur ce petit – qui est de toute façon différent de soi – en le surprotégeant, en l’empêchant de se déployer, en ne laissant pas la place à l’autre parent. Et probablement pour le mieux en termes d’intention pour le parent, mais rarement du point de vue de l’enfant.
L’impact psychique et biologique
La parentalité a un impact psychique sur les individus, en termes de responsabilité. Elle nous demande, brutalement, d’acquérir une maturité qui n’a pu être pensée, élaborée à l’avance. L’individu devenu parent peut se trouver infiniment démuni face à la tâche immense que peut représenter d’accompagner un ou plusieurs enfants dans leur croissance, leur éducation. Donner des repères qu’eux-mêmes n’ont pas reçus ou acquis. Mettre un cadre et des limites alors qu’ils n’en ont pas ou trop eus. Apporter tendresse et soin alors qu’on ne leur en a pas donnés. Cela peut mener à l’impuissance ou provoquer des malaises, des chocs, des sidérations, des paniques, des déprimes ou dépressions, de la peur, de la colère, voire de la violence. L’impact de la parentalité sur les personnes n’est pas suffisamment appréhendé mais il est bien réel. Alors sur le couple, il l’est d’autant plus si ces deux êtres n’ont pas su tisser une relation suffisamment stable et solide pour les aider à traverser ces séismes intérieurs et familiaux.
Dormir dans le lit parental est-ce indiqué ?
Avec le «cododo», l’incidence de la présence de l’enfant dans le lit parental est méconnue et interrogée. L’on manque de recul et d’études pour le moment sur cette pratique. Mais précisons que le partage de la chambre et le partage du lit sont deux choses bien différentes et l’effet sur les trois papa- maman-bébé est singulier. De tout temps, selon les discours psychologiques et/ou médicaux, la présence de l’enfant a été encouragée (pour rassurer) ou découragée (par crainte de la mort subite du nourrisson) dans le lit parental. Allaitement, proximité physique, câlins, rassurance, etc. Il ne s’agit pas ici de porter de jugement sur les choix parentaux en termes de coucher tous dans le même espace physique et psychique. Il s’agit de regarder l’impact que cela a sur l’enfant et sur le couple et sur la manière dont l’enfant peut se saisir de sa présence pour révéler au couple quelque chose de son histoire, de sa relation, du transgénérationnel, etc.
Lit parental ou lit conjugal ?
Il est clair que le lit parental est avant tout le lit conjugal et l’espace de la sexualité (même si l’on peut faire l’amour dans bien d’autres endroits). Si celle-ci déserte le couple ou ne revient pas après 4 à 6 mois (l’allaitement peut retarder la reprise de l’activité sexuelle), il peut être nécessaire de s’interroger sur la place de chacun et de cette dimension (couple conjugal et donc sexuel) dans la vie de cette famille. L’enfant a besoin que ses parents restent un couple d’abord et non qu’ils deviennent un couple parental à l’exclusion du reste.
Cet enfant est issu d’un acte sexuel entre ses parents (au moins de deux cellules sexuelles avec la FIV). Autant dire que toutes ses cellules viennent de cet instant-là. Il sait cellulairement, intrinsèquement, dans chaque fibre de son corps – même s’il n’a pas à en être témoin – que la sexualité (et l’amour dans le meilleur des cas) entre ses parents est ce qui l’a fait advenir au monde. C’est sa seule certitude. Il vient de là. Il a donc «besoin» de sentir que cette dimension existe toujours. Cela lui confère une confirmation de son existence et le resitue à sa juste place, celle d’enfant et non d’une petite créature qui prend le pouvoir à la maison en occupant un lit qui n’est pas le sien.
Parentalité et évitement
La parentalité et la présence d’enfant, le temps et l’énergie que cela demande aux parents peuvent être un frein à la vie amoureuse, intime et sexuelle du couple. Un couple qui s’inscrit dans la durée aura intérêt à se ménager du temps pour nourrir sa relation sur différents plans : affectif, intellectuel, culturel, social, amical, intime et sexuel. S’il ne peut y arriver – et nombre d’entre nous savent comment la parentalité peut être exigeante, d’autant que l’on a à cœur d’accompagner nos enfants pour qu’ils déploient le meilleur d’eux-mêmes –, il est à craindre qu’à terme, ce couple se délite.
Pourquoi accorder autant de temps aux enfants? Au nom de quoi? Est-ce pour ménager notre narcissisme et entretenir une bonne image de nous-même? Ou par arrogance pour prouver à nos parents que l’on fait mieux qu’eux? Peut-être par évitement de l’autre et de l’intimité que la relation à deux suppose? Quelle que soit la raison de cet évitement de l’intimité et de la sexualité, le couple aura à aborder la question car son avenir et celui de la famille risquent d’être mis en balance.
Le manque de temps
L’élément commun à tous les couples que je reçois, qui sont donc en difficulté et qui veulent retisser une relation saine, riche et durable (intégrant la dimension sexuelle dans la fluidité et sa plénitude) est le manque de temps. La parentalité vient appuyer de façon douloureuse sur cette temporalité, d’autant plus si les parents ont une activité professionnelle, sportive, sociale, amicale, etc. Et pourtant, la première règle pour prendre soin d’un autre, à savoir son enfant dans le cas de la parentalité, c’est de prendre soin de soi en tant que personne et cela demande du temps. Si vous ne le faites pas, c’est votre enfant qui va s’en charger alors que ce n’est pas du tout son rôle. Mais il a besoin que vous alliez suffisamment bien, sa survie en dépend. Il a besoin que son couple de parents sache prendre soin de lui-même pour pouvoir s’occuper de lui, fruit de leur union. La sexualité sera souvent la première dimension de la relation qui sera sacrifiée à ce manque de temps. Or, personne ne vous l’accordera ce temps. Il est à vous deux de faire compromis, arbitrage et organisation pour vous le dédier. En avez- vous le courage, l’énergie, l’audace?
Je dis que «ce qui vaut la peine vaut la peine». Votre couple mérite que chacun fasse des efforts et mette des limites à tout ce qui peut l’empêcher de partager cette intimité qui seule est, fondamentalement, le ciment du couple. Et non la sexualité, comme une croyance répandue l’affirme encore.
Extrait de Le couple, l’intimité et la sexualité de Carlotta Munier aux éditions du Souffle d’Or 2021
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